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07/01/2021

Décès de l'historien Mikhail Rogatchev

La sociologue Perrine Poupin vient de nous informer que l'historien et militant des droits de l'homme, membre de Memorial, Mikhail Rogachev était décédé le 3 janvier 2021 des suites du Covid. Nous reproduisons ci-après son message:

Pendant des années, Mikhail Rogachev a étudié l'histoire du goulag dans la République des Komis et a été le compilateur, l'auteur et l'éditeur de l'ouvrage Repentir : Le martyrologe des victimes de la répression politique de masse de la République Komi. Entre 1998 et 2016, il a permis que soient publiées 60 000 notices biographiques dans 11 volumes : sur les victimes de la Grande Terreur, et les nombreuses personnes envoyées dans les colonies spéciales et les camps de travail de la République des Komis tout au long des années 1930 et au-delà.
En plus de la qualité de son travail, Mikhail Rogachev était une belle personne et avait un immense talent pour le récit oral! Il organisait des balades historiques dans la ville de Syktyvkar.

Ci-après, une lne liste d'articles et vidéos le concernant :
-https://komionline.ru/news/umer-izvestnyj-v-komi-uchenyj-mihail-rogachev
-https://7x7-journal.ru/news/2021/01/04/istorik-i-pravozashitnik-iz-komi-mihail-rogachev-umer-ot-posledstvij-koronavirusa
-Sa
 dernière présentation vidéo à Syktyvkar :
https://vk.com/video-179289352_456239125?list=442c0c75215ce39cca
-Une autre vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=QQH9QRTBttE&ab_channel=%D0%A4%D0%BE%D0%BD%D0%B4%D0%98%D0%BE%D1%84%D0%B5
Et enfin son portrait en russe et en anglais :
http://hragents.org/en-person/rogachev-en/

13:36 Publié dans Appels et communiqués | Lien permanent

30/03/2020

« Antiterrorisme » et répression des oppositions : un verdict sans précédent en Russie

(Communiqué traduit du russe par Anne Le Huérou) 

À l'automne 2017, dans le contexte de la coupe du monde de football en Russie et de l’élection présidentielle à venir, six personnes sont arrêtées dans la ville de Penza puis torturéеs par le FSB. Sous la torture, ces militants anarchistes et antifascistes ont avoué avoir fondé puis être impliqués dans une organisation terroriste appelée « Réseau ». Fin janvier 2018, trois autres antifascistes ont été arrêtés par le FSB à Saint-Pétersbourg. Ils ont également été battus, torturés à l’électricité et forcés à avouer être membre de la soi-disante organisation « Réseau ». Enfin, en juillet 2018, deux autres arrestations ont eu lieu à Penza. La réactivité des membres de la commission locale de surveillance des lieux de détention (ONK) de Saint-Pétersbourg a permis à l’affaire de connaitre une certaine résonance mais sans possibilité d’action véritable sur le cours de l’instruction, contrôlée par les organes de sécurité. Après deux années de travail d’enquête volontairement bâclé, des verdicts particulièrement lourds et sans précédent ont été prononcés le 10 février 2020 à l’encontre des accusés de Penza. Nous présentons ci-dessous la traduction française du communiqué du Centre des droits de l'homme Mémorial.

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Verdict dans l’affaire « Réseau » en Russie : l’insupportable routinisé ?

Communiqué de presse du Centre des droits de l’Homme « Memorial », 11 février 2020.
Original en russe/оригинал на русском


Le 10 février 2020, les verdicts dans l'affaire dite du « Réseau » ont été rendus :sept jeunes hommes, appartenant au courant anarchiste et antifasciste, ont été condamnés à des peines allant de 6 à 18 ans de prison pour avoir créé un réseau terroriste ou pour avoir participé à ce réseau, ainsi que pour possession d'armes ou de munitions.
L'accusation puis le verdict reposaient sur des aveux que le tribunal aurait dû rejeter - ne serait-ce que parce qu'ils avaient été obtenus sous la torture. Certains des accusés ont été torturés après leur arrestation mais avant que celle-ci ne soit officiellement enregistrée, soit, à un moment où ils ont temporairement « disparu » de la « zone du droit ». Les tortures se sont poursuivies ensuite, jusqu’à l’obtention d’aveux corroborant la version fabriquée à l’avance par l’accusation. Il est évident que le « Réseau » a été créé de toute pièce, d’après des documents issus de la « surveillance opérationnelle » des militants de gauche, et par la suite, des personnes qui se connaissaient à peine voire pas du tout ont été forcées d'avouer leur participation à une même « organisation terroriste ».
Les "participants » ne sont pas accusés d’avoir commis un quelconque acte en lien avec cette organisation, ni d’avoir planifié un acte concret, ils sont simplement accusés de vagues ’intentions, comme « d’avoir prévu de planifier à un endroit non spécifié, à un moment non précisé, dans des circonstances non précisées avec des individus non spécifiées, guidés par l'idéologie anarchiste » une action criminelle.
L’accusation affirme que le « Réseau » possédait des statuts et organisait des « congrès » - nom donné à quelques réunions publiques, parfois de simples rencontres entre amis, au cours desquelles l’un ou l’autre des accusés ont pu participer (sachant que pour la plupart ils ne se connaissaient pas !). L'expertise a montré que les « statuts » du groupe anarchiste (ce qui serait assez ironique en soi !) est apparu sur l'ordinateur d’un des accusés après sa saisie, alors que le propriétaire se trouvait au centre de détention provisoire, puis a été éditée par des personnes non identifiées. Quant au maigre arsenal trouvé dans le cadre de cette affaire, aucune empreinte digital ou trace ADN des accusés sur les armes et les munitions dont l’enquête n’a même pas essayé de déterminer les circonstances d’acquisitions. Des pressions ont été exercées non seulement sur les accusés eux-mêmes, mais aussi sur les témoins - beaucoup ont fait des déclarations en ce sens puis sont revenus sur leur déclarations. Cette "base de preuves" incontestablement faible a été étayée par les témoignages de « témoins secrets ».
Au cours du procès, il est apparu clairement qu'en réalité, l’organisation "Réseau" n'existait pas. Le Centre des droits de l'homme Memorial avait déjà décidé de reconnaître les accusés dans cette affaire comme prisonniers politiques. https://memohrc.org/ru/special-projects/peterburgskoe-delozapreshchyonnoy-seti; https://memohrc.org/ru/special-projects/penzenskoe-delo-zapreshchyonnoy-seti).

Le verdict dans l'affaire du « Réseau » est déjà qualifié, à raison, de « sans précédent ». Pourtant, on compte déjà beaucoup trop d’affaires semblables pour les vingt dernières années. Depuis le tout début de l'« opération antiterroriste » dans le Caucase du Nord, les services fédéraux russes chargés de l'application de la loi et de la sécurité ont eu largement recours aux enlèvements, aux détentions illégales et à la torture - tant contre des personnes soupçonnées de crimes « terroristes » que contre des personnes manifestement pas impliquées.
Ensuite, cette pratique s'est étendue à d'autres régions de Russie et à d'autres catégories d'affaires pénales, et non plus seulement aux cas de "terrorisme islamique". On peut citer comme exemple l’affaire fabriquée contre les citoyens ukrainiens Nikolai Karpyuk et Stanislav Klykh qui ont avoué sous la torture leur participation présumée aux événements de la première guerre de Tchétchénie. Devant le tribunal, ils ont évoqué les graves tortures subies. L'acte d'accusation était une pure fiction, mais cela n'a pas empêché qu'ils soient condamnés en 2016 à 20 et 22 ans de prison.
Quinze personnes ont été condamnées en 2016 à des peines allant jusqu'à 13 ans pour avoir prétendument préparé un attentat terroriste dans le cinéma Kirghizistan à Moscou. Le seul élément qui reliait ces ouvriers du bâtiment était d’avoir loué, à des moments différents, des lits dans le même foyer de travailleurs... Par la torture, on leur a arraché des aveux de participation à une « cellule terroriste ». Les condamnés dans ces affaires ont été reconnus par Mémorial comme des prisonniers politiques.
La liste n’est pas exhaustive…

Dans le cas de l’affaire dite du « Réseau », la pratique de la torture contre les accusés et le caractère fabriqué de l’affaire étaient connus depuis le début, dès l'hiver 2018. La Commission de surveillance publique des lieux de détention de Saint-Pétersbourg a pu enregistrer des traces de torture, dont les enquêteurs ont témoigné. Cependant, ni la médiatisation à grande échelle ni les appels aux organes de sécurité n'ont empêché la fabrication de l'affaire et les condamnations. L'affaire est digne de l’époque stalinienne, tant par l'absurdité et le manque de preuves de l'accusation, que par les méthodes d'obtention des aveux, et la sévérité de la peine. Mais de plus, elle n’a pas été fomentée par l’instruction et le tribunal en secret, au fond d’un bunker, mais bien au vu et au su de tous, sous la lumière des projecteurs.

Centre des Droits de l’Homme Mémorial, Moscou, 11 février 2020.

 

19/12/2017

Disparition d'Arseny Roginsky, le 18 décembre 2017

Il fut l'une des grandes voix de la dissidence soviétique et l'un des fondateurs, en 1989 avec Andreï Sakharov, de l'association Memorial dont il était ces dernières années le président. Arseny Roginsky est mort le 18 décembre à l'âge de 71 ans. Cet historien, qui avait exhumé les crimes du stalinisme, n'a jamais cessé ses combats pour les droits de l'homme dans la Russie de Vladimir Poutine. Portrait, par François Bonnet (voir également le Blog de François Bonnet sur Médiapart ici)

 

Arseny Roginsky, la disparition d'une voix libre en Russie

Arseny Roginsky © (Memorial)

roginsky.jpgMemorial, la principale association de défense des droits de l'homme en Russie, a annoncé sur son site la mort de son président Arseny Roginsky le 18 décembre, à l'âge de 71 ans. Il est bien peu probable que le régime russe rende hommage à cet historien qui était devenu un défenseur inlassable des libertés, de la justice et des droits des citoyens et ne cessait de dénoncer les innombrables violations des droits fondamentaux dans la Russie de Vladimir Poutine.

Son association, Memorial, est depuis des années dans le collimateur du pouvoir qui multiplie tous les obstacles bureaucratiques et politiques possibles pour l'empêcher de mener à bien ses deux principales missions: défendre les libertés ; effectuer un travail de recherche historique sur le système de répression soviétique. Un travail salué par les historiens du monde entier.

Personnage chaleureux et éruptif, Arseny Roginsky énumérait, cigarette après cigarette, la longue liste de ses colères et indignations. A l'espoir perdu d'une vaste démocratisation du système politique russe, il préférait avec une lucide obstination développer pas à pas et protéger l'association Memorial. Surtout, il demeurait un historien passionné qui a su faire venir à Memorial toute une nouvelle génération de chercheurs, d'enseignants et de correspondants dans les régions russes travaillant sur les archives enfouies du régime soviétique et du stalinisme.

C'est justement pour avoir fait publier à l'étranger des «archives interdites», qu'Arseny Roginsky avait été condamné en 1981 par un tribunal de Léningrad à quatre années de camp, une peine qu'il effectua dans sa totalité. Comme le notait alors un article des Cahiers du monde russe, «parmi la quantité énorme de procès qui jalonnent l'histoire de l'Etat et de la société soviétique, le cas Roginsky occupe une place à part: un historien a été jugé pour avoir étudié l'histoire sans autorisation». «Roginsky travaillait dans les archives. Il découvrit puis publia des documents que l'histoire officielle ne souhaitait pas voir publier (...) Il est condamné pour avoir violé le monopole de l'histoire».

portait roginsky 2.jpg«Seule une étude libre de ces archives et leur libre publication nous aideront à connaître la vérité sur notre passé»: telle fut la dernière déclaration de Roginsky devant le tribunal. Rédigée dans une cellule de huit mètres carrés où s'entassaient neuf détenus, elle lui a valu quatre années de camp. C'est ce programme que Memorial continue avec constance à appliquer. Depuis bientôt trente ans, l'association a bouleversé la connaissance historique de ce que fut la répression stalinienne puis plus largement soviétique, en particulier grâce à un extraordinaire travail sur les archives régionales.

Il y a quelques années, Arseny Roginsky accompagnait trois autres responsables de l'organisation Memorial distingués par le Parlement européen et lauréats du prix Andreï Sakharov. Il s'agissait d'Oleg Orlov, de Sergeï Kovalev et de Lioudmila Alexeïeva (lire ici un entretien avec Sergeï Kovalev et également ici). A cette occasion, nous l'avions rencontré à Paris pour un entretien sur les combats de Memorial, sur l'espérance démocratique trahie et sur la Russie de Poutine. Nous le republions ci-dessous:

 

«La Russie, 170 millions de personnes et un autocrate!»

La Russie que vous imaginiez avec Andreï Sakharov et bien d'autres, lorsque Memorial est créée en 1989, est-elle celle d'aujourd'hui?

Vous savez, il y a vingt ans, ce fut le pic de nos illusions ! Pour le dire vite, tout changeait tous les jours. Evidemment, nous étions des gens plutôt expérimentés et nous savions qu'il faudrait des années pour démocratiser ce pays. Mais nous ne pensions pas qu'au bout de vingt ans, les choses auraient si peu progressé. Nous pensions que cela irait plus vite et bien plus loin. Or ces dernières années, la situation politique a empiré. Est-ce notre défaite? Avoir parcouru un quart ou un cinquième seulement du chemin que nous envisagions il y vingt ans... Mais sans nous, peut-être serions-nous allés encore moins loin !

Beaucoup d'organisation, d'associations de mouvements de la société civile ont disparu. Comment expliquez-vous la permanence de Memorial?

Parce que nous avons avec obstination et constance défendu deux idées. L'une est de travailler sur l'histoire de ce pays: comment la terreur politique mise en place par les bolcheviques en 1917 s'est poursuivie tout au long du soviétisme. Il y a eu bien sûr la terreur de masse des années trente. Mais ensuite la terreur ou la répression en tant que méthode de gouvernement est demeurée.

La seconde idée est: qu'est-ce qu'on souhaite? Vivre en liberté dans un pays démocratique, c'est aussi banal que cela! Or la conscience d'hier et celle d'aujourd'hui nous empêchent de construire cela. Pour Memorial, c'est clair: le passé, nous le voyons comme une destruction massive des droits de l'homme. Mais quand nous regardons le présent, il y a aussi de très grandes violations des droits de l'homme. Vous savez, l'effondrement de l'URSS en 1991 a été le jour le plus heureux de ma vie. Aujourd'hui notre président dit que ce fut «la plus grande catastrophe du XXe siècle». Alors comment pouvons-nous nous entendre!

Vingt ans après, sommes-nous sortis du soviétisme?

En partie seulement. Le présent porte toujours cette histoire. Par exemple, on ne peut comprendre la première guerre de Tchétchénie en 1994, et ce qui se poursuit depuis, sans comprendre, sans connaître la déportation des Tchétchènes ordonnée par Staline en 1944. Tout cela est lié. Toutes les institutions créées après 1991 ont été vidées de leurs missions ou de leurs pouvoirs sous Vladimir Poutine. Tout se concentre sur un homme, Poutine. Le parlement est une imitation. Les partis sont des imitations. Tout est imitation ! Chez vous il y a un parlement, un gouvernement, des associations, une société civile. Ici rien: 170 millions de personnes et un autocrate, une simple imitation de démocratie.

Certains soutiennent que Poutine incarne une mutation intelligente du système soviétique. Qu'en pensez-vous?

Peut-être... à vrai dire, la question importante est: pourquoi, avec Poutine, y a-t-il un recul de la démocratie? Pourquoi a-t-on fait machine arrière au lieu de continuer? En fait, ce recul a commencé plus tôt, dès la première guerre de Tchétchénie déclenchée en 1994. Au milieu des années 1990, le pays a souffert d'une terrible crise morale, d'une crise d'identité. L'effondrement du pays a créé une immense humiliation nationale. Nous avions tous voté pour la démocratie, nous avions voté Eltsine ! C'est quoi la démocratie: d'abord la justice. Mais où est donc cette justice, disait le Russe des années 1990 ? Personne ne voyait de justice. Nulle part ! Il n'y avait qu'injustice, et injustice sociale.

Boris Eltsine a compris cela. Il a tenté de réanimer une rhétorique de puissance. A partir de 1995, alors qu'il a lancé la guerre de Tchétchénie, il forme des groupes qui devaient réfléchir là-dessus: comment ressusciter cette fierté nationale? Et c'est Poutine qui leur a donné cette nouvelle identité. Ce n'est pas Poutine qui a imaginé cela, avec sa tête de Kguébiste. Il a entendu cela et il est allé vers eux d'une manière très ferme et même agressive. Poutine le dit à nouveau: “Nous sommes une grande puissance”, peu importe que cela soit vrai ou faux. Il devient le leader d'une renaissance nationaliste, un nationalisme d'Etat.

Cette conception doit constamment être réaffirmée. Le pouvoir doit mobiliser en permanence, entretenir la flamme. Et dans ce sens, on revient au stalinisme de la fin, lorsque les principaux slogans de l'époque étaient: consolidation et mobilisation. Et pour cela il faut aussi toujours affirmer que nous sommes entourés d'ennemis. Regardez les sondages aujourd'hui: notre principal ennemi est à nouveau l'Amérique.

A quoi sert Memorial aujourd'hui?

Il ne faut pas exagérer notre rôle. Il est, de fait, modeste. Dans le paysage de ces vingt dernières années, les petits îlots de réflexion, de discussion, de démocratie ont progressivement disparu. Chacun à sa manière est menacé. Les associations sont dispersées, sans influence sur le paysage politique. Il y a sans doute une centaine d'associations de défense des droits de l'homme, quelques médias libres – peu –, quelques centres de recherche, et quelques restes de partis démocratiques. C'est très très peu. En Russie, il n'y a pas de champ politique, toute activité politique est immédiatement empêchée par le pouvoir. Memorial n'est pas une organisation politique et ne veut pas le devenir. Alors oui, nous pouvons critiquer le pouvoir, proposer des alternatives. C'est pourquoi beaucoup d'intellectuels s'écartent du pouvoir actuel et cherchent à se rapprocher de nous. Nous sommes comme une porte de sortie.

11:19 Publié dans Appels et communiqués | Lien permanent