19/07/2010
A propos de la campagne de dénigrement contre Vladimir Loukine
La campagne de propagande, qui s’est développée, ces dernières semaines, contre Vladimir Loukine, Délégué aux droits de l’homme, rappelle complètement des mesures similaires de l’époque soviétique – à la seule exception que cette campagne n’émane apparemment pas des plus hauts dirigeants politiques du pays. Elle ressemble plutôt à une intrigue d’appareil, imaginée dans les bureaux des dirigeants de « second ordre ».
Comme à l’époque soviétique, cette campagne se fait passer pour « la voix de l’opinion publique ». Des organisations sociales de province ont prétendu en être à l’initiative, et, parmi elles, se trouvaient des associations de vétérans et des Chambres civiques régionales.
Comme à l’époque soviétique, la synchronisation de ces déclarations - elles ont commencé, au même moment, dans diverses régions du pays - ne laisse aucun doute sur le fait que cette campagne n’est pas spontanée, mais organisée.
Il n’est pas difficile de comprendre la raison de cette campagne : le Délégué aux droits de l’homme a publiquement critiqué ce qu’a fait la police, le 31 mai, lorsque celle-ci a dispersé le meeting d’opposition qui se tenait sur la place Triumfalnaia à Moscou.
Vladimir Loukine s’est permis de critiquer les actions commises par les collaborateurs des « ministères à épaulettes »[1], « dans l’exercice de leurs fonctions ». Il semblerait que quelques apparatchiks du Kremlin ont estimé qu’il s’agissait là d’une violation de l’ « éthique corporative » (que peut et ne peut pas se permettre un fonctionnaire d’Etat de son rang). Et un appel a été lancé au Président, pour que celui-ci « (examine) si V. Loukine correspond à la fonction qu’il occupe ». Cet appel est absolument contraire à la loi, mais n’est pas une simple erreur. Cette formule témoigne de la façon dont les différentes branches du pouvoir comprennent leurs relations réciproques.
Les opposants de M. Loukine n’acceptent pas le concept même d’ « ombudsman[2] », qui est inscrit dans la Constitution de la Fédération de Russie et développé dans la « Loi sur le Délégué aux droits de l’homme dans la Fédération de Russie ». Ils veulent absolument concevoir la fonction d’« ombudsman », non comme un mécanisme contemporain d’auto-limitation du pouvoir de l’Etat pour le bien de la liberté publique, mais comme un énième ministère « des droits de l’homme » ou, en d’autres mots, comme une façon, parmi d’autres, de feindre la démocratie.
Le fait qu’ils ont choisi des méthodes de lutte ouvertement soviétiques, avec l’appui d’une prétendue « opinion publique », n’est absolument pas un hasard. Ils n’ont pas compris qu’au cours des vingt dernières années, le pays a changé. L’existence institutionnelle d’un Délégué aux droits de l’homme est l’un des témoignagnes évidents de ces changements.
Et un autre témoignage de ces changements est, de façon tout aussi claire, le fait que quelques « ombudsmans » régionaux n’ont pas eu peur de réfuter les déclarations contre Loukine, qui leur étaient attribuées. Cela montre aussi qu’aujourd’hui, les fonctionnaires ne peuvent plus supprimer complètement les fruits de l’évolution démocratique des vingt dernières années.
Nous apprécions grandement la position indépendante du Délégué aux droits de l’homme, ainsi que les résultats de son action, et nous souhaitons à Vladimir Pétrovitch Loukine de réussir dans son travail, à ce poste et dans le futur.
La direction de l’Association Mémorial
13 juillet 2010
[1] Note de la traductrice : ici, ce terme désigne essentiellement les OMON (la version russe des CRS), mais pas seulement ; il inclut aussi les policiers, les collaborateurs du FSB.
[2] Note de la traductrice : ce terme désigne, dans différents pays dont la Russie, le responsable des droits de l’homme.
13:15 Publié dans Appels et communiqués | Lien permanent
15/03/2010
A propos des portraits de Staline et du 65e anniversaire de la Victoire
La Fondation MEMORIAL a très largement diffusé le 3 mars 2010 le communiqué suivant, que l'AAMF a traduit en français :
Les employés de la Mairie de Moscou ont déclaré qu’ils avaient l’intention d’afficher des portraits de Staline, dans Moscou, à l’occasion du 65e anniversaire de la Victoire contre les Nazis.
Comme toujours, on ignore par qui et à quel niveau cette décision a été prise, mais il est clair que ces portraits vont être fabriqués avec l’argent des contribuables, et en particulier de ceux qui ont eu des membres de leurs familles exterminés par la faute du dictateur.
Mais le problème, ce n’est pas l’argent, ni le fait qu’une partie des personnes, invitées aux cérémonies, ne voudront probablement pas venir dans une ville décorée de façon aussi douteuse.
Afficher des portraits de Staline pour le Jour de la Victoire offense la mémoire de ceux qui sont tombés pour cette victoire.
Les soldats soviétiques sont allés au combat, non pas parce que leur chef le leur avait ordonné, ni pour défendre le bureau politique et son secrétaire général au Kremlin. Ils défendaient leur patrie contre une invasion étrangère, ils défendaient leur pays que les dirigeants communistes avaient placé au bord de la catastrophe.
L’endurance, le courage et les exploits des hommes qui ont défendu la Patrie pendant la guerre étaient et demeurent l’héritage du peuple dans sa totalité, et personne n’a le droit de disposer de cet héritage à sa guise. Essayer d’imputer cet héritage à Staline, c’est du vol et un blasphème.
L’intention de disposer des portraits de Staline sur les lieux où se regroupaient les divisions des volontaires populaires est encore plus blasphématoire. Ces divisions étaient composées de civils, presque toujours sans armes, abandonnés sans merci comme de la chair à canon autour de Moscou, Kiev et Leningrad, et presque tous tués. Leur histoire représente, à elle seule, un acte d’accusation contre « le plus grand chef de tous les temps et de tous les peuples ». Il n’est quand même pas possible que les apologètes de Staline, à la Mairie de Moscou, croient vraiment que les Moscovites ne se souviennent plus de la façon dont ont péri leurs pères et leurs grands-pères ?
Le nom de Staline orne déjà les voûtes de la station de métro « Kourskaïa », par les soins des employés de la Mairie de Moscou. Aucun de ceux-ci ne s’est souvenu, bien sûr, de Petrikovski, le premier chef du métro, sanctionné par Staline et fusillé, ni des centaines de constructeurs du métro, exécutés ou envoyés dans des camps.
Cette histoire des portraits poursuit la réhabilitation rampante du stalinisme.
Les chargés de communication n’ont pas l’intention de se souvenir de ce qu’a vraiment été l’œuvre de Staline : en 1937-1938, la terreur de masse dans l’armée a exterminé des dizaines de milliers de militaires, depuis les simples soldats jusqu’aux maréchaux ; l’alliance avec Hitler, avant la guerre, a eu pour conséquence directe la tragédie de l’été et de l’automne 1941 ; pendant la guerre, le peuple a payé, par des millions de vies, les crimes et les erreurs du chef.
Le peuple a gagné la guerre, malgré tous les crimes de Staline.
Cette victoire a été obtenue à un prix monstrueux, dont le montant n’a pas encore été calculé complètement.
Les cérémonies du Jour de la Victoire ont pour sens principal d’exprimer notre reconnaissance à tous ceux qui ont vraiment lutté pour cette victoire. Hélas, il n’en reste plus que très peu. Ce sont eux, et eux seulement, qui doivent être au centre de l’attention, ce jour-là.
Si des portraits de Staline apparaissent vraiment dans les rues de Moscou, nous allons faire tout notre possible pour qu’apparaissent aussi d’autres affiches, panneaux et posters, qui racontent les crimes du tyran et sa véritable place dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes convaincus que des centaines de Moscovites - les enfants et les petits-enfants des combattants, de ceux auxquels la Victoire appartient vraiment – nous aideront.
Association internationale Memorial
Association Memorial Moscou
2 mars 2010
19:00 Publié dans Appels et communiqués | Lien permanent